Archives du mot-clé mémoire

Etta et Otto (et Russell et James), Emma HOOPER

Etta et OttoUn matin, Etta, 83 ans, quitte sa ferme du Saskatchewan qu’elle partage avec Otto. Chaussée de ses bottes, elle avance à travers champs, au milieu de la rosée, de la poussière et des grains précoces, et file l’ouest canadien vers la mer. Otto attend son retour. Lui a connu la mer, traversée pour une guerre passée, elle a vécu l’attente du retour. Otto se nourrit de ses recettes et façonne des animaux en papier mâché. Russell, l’ami d’enfance et l’amoureux, part sur les traces d’Etta, pour poursuivre, au-delà. En compagnie de James, un coyote doué de parole, Etta déroule l’histoire intime d’un trio attachant, uni par des liens tendres et solides tissés dans la fidélité d’une vie rurale simple. Elle éprouve jusqu’à la douleur, leurs solitudes, les souvenirs et l’oubli. Sa mémoire s’échappe, l’amour et leurs lettres partagées attestent de leurs existences. Etrange, onirique, cette marche poétique est un retour à l’innocence. Une bouffée d’air.

Etta et Otto (Russell et James), Emma Hooper, traduit de l'anglais (Canada) par Carole Hanna, Les escales, octobre 2015, 21,90€, 9782365690829

Depuis qu’elle est morte elle va beaucoup mieux

BarteltL’écrivain des Ardennes a fait de l’humour noir et de l’autodérision ses marques de fabrique. Avec le ton insolent et drôle, poétique et tendre qui le caractérise, il nous confie une part intime de sa vie : le vieillissement de sa mère. En fin observateur, réaliste, il en livre un portrait tout en pudeur. A l’âge des délivrances et divagations, lentes et quotidiennes, elle se croit encore active. Elle dit travailler à la charcuterie, attendre sa mère de 120 ans enterrée 40 ans plus tôt et lire cinq romans policiers par semaine. Entre deux tentatives de fugues, c’est l’échappée belle de la mémoire et du corps en errances. Sa mère s’éloigne un peu plus chaque jour, l’esprit confus et le corps affaibli. La mort prend son temps. A 90 ans, c’est l’hospice, le lieu des bruits, des odeurs écœurantes, des chutes et des solitudes. Le fils attend la mort, il reste près de sa mère, à son chevet, jusqu’au bout, même quand les mots manquent, tant que le cœur bat.

Le jardin du bossu (Grand prix de l’humour noir 2000) et Le bar des habitudes (Prix Goncourt de la nouvelle 2007)

Franz BARTELT, Depuis qu'elle est morte elle va beaucoup mieux, les éditions du Sonneur, collection « ce que la vie signifie pour moi », septembre 2015,72 pages, 12€, 9782916136882

Une forêt d’arbres creux

Le ghetto de Terezin, à la fois camp de transit et mouroir, fut présenté à la Croix rouge comme une colonie juive modèle. En décembre 1941, Bedrich, sa femme Johanna et leur bébé y sont internés. Responsable de l’atelier de dessin, il est porté par un profond contentement créatif mêlé à la culpabilité du projet de rénovation du ghetto. Le jour, le dessinateur invente le décor d’une ville bienveillante à l’égard des juifs. La nuit, les lignes s’assouplissent et son espace de vision s’ouvre à la réalité. Il trace des paysages dans l’ombre et la lumière déchirante du soir et de l’hiver et défie les démarcations des barbelés. Il détache des silhouettes de la multitude des corps et révèle à la clarté, d’une ligne de failles, leurs fragilités. Court et intense, ce roman devient graphique sous le trait d’un témoin silencieux, saisissant sur le vif des tableaux de désespoir. Le réel de Térezin s’échappe des murs aux coups de crayon résistants de l’artiste.choplin-foret-arbres-creux

Une forêt d'arbres creux, Antoine CHOPLIN, La fosse aux ours, août 2015, 120 pages, 16€,
9782357070653

Les partisans

Lors des derniers mois de la seconde guerre mondiale, des juifs évadés du ghetto défient Les partisansl’armée nazie et les soldats ukrainiens. Alors qu’ils ont tout perdu, cette poignée d’hommes, de femmes et d’enfants, repliés en communauté dans les forêts et les montagnes, puis au pays de l’eau, combattent pour la survie de leur identité. Edmund,17 ans, raconte l’attente quotidienne, les expéditions de sauvetage et de ravitaillement, la fraternité. Il trace des portraits sensibles d’êtres blessés et déterminés. Ces résistants développent une force morale nourrie aux sources juives, de la Bible aux philosophes modernes, et à la littérature russe. Le commandant Kamil veille au repos des corps et des âmes par une nourriture réconfortante et une vie intérieure de méditation. Ils cultivent le souvenir, cette mémoire venue du plus profond de chacun, abolissant la frontière entre passé et présent. Ce roman émouvant transmet l’optimisme juif et la joie du partage. Un moment de grâce.

Les partisans, Aharon Appelfeld, éditions de L'olivier, mai 2015, 22€, 319 pages, 9782823605143